Presque vingt-et-un siècles nous séparent de Cicéron et de son De Oratore, et pourtant la "méthode des lieux" qu'il expose dans cet extrait n'a pas pris une ride : l'idée est de placer, dans des lieux familiers, des images représentant les informations que vous voulez retenir...
Je vous conseille vivement de tester la technique... selon les conseils du maître !
bonne lecture,
Clément
---->
CICERON
DE
ORATORE
LIVRE
II
(…)
LXXXVI– (…)Mais je
reprends mon discours. Je n ai pas le génie de Thémistocle pour
préférer comme lui l'art de l'oubli à celui de la mémoire et je
rends grâce à Simonide de Cos qui fut, dit on, l'inventeur de la
mémoire artificielle. On raconte en effet que ce poète célèbre
soupait un jour à Cranon, en Thessalie, chez Scopas, homme riche et
noble, qu'il y chanta une ode ou un poème qu'il avait composé à la
louange de son hôte en y mêlant, pour l'ornement de ses vers comme
font ordinairement les poètes, beaucoup de passages sur Castor et
Pollux. Scopas, qui était convenu avec lui d'un prix pour son ouvrage,
lui fit un trait d'avarice : il lui dit qu'il ne lui en paierait que la
moitié et que pour le reste il pouvait s'adresser, si bon lui
semblait, aux deux fils de Tyndare qui avaient eu la moitié de ses
éloges. Peu après, on vint avertir Simonide de sortir et que deux
jeunes gens l'attendaient à la porte et semblaient fort pressés de
lui parler, il se leva, sortit et ne trouva personne, mais dans ce
moment la salle où soupait Scopas s'écroula et lui-même, avec ses
convives, fut écrasé sous cette ruine. Les parents de ces infortunés
voulurent leur donner la sépulture mais ils étaient tellement
défigurés qu'on ne les pouvait reconnaître. Simonide, se souvenant
de l'ordre dans lequel ils étaient tous assis, fut en état de
désigner chacun d'eux et de le rendre à sa famille. Cet évènement
le conduisit à la découverte de son art en lui faisant connaître
que l'ordre est le meilleur et le plus sûr flambeau de la mémoire.
Que par conséquent ceux qui voudraient aider en eux cette faculté
devraient choisir des lieux ou places et y ranger les images qu'ils
se seraient faites dans leur esprit des choses qu'ils voudraient
retenir ; que de cette manière l'ordre des lieux conserverait l'ordre
des choses et l'image des choses représenterait les choses-mêmes. Les lieux seraient comme la cire des tablettes sur lesquelles nous
écrivons et les images seraient comme l'écriture.
LXXXVII – Ai-je besoin
de dire de quelle utilité de quel secours est la mémoire. C'est sa
puissance qui vous rend présent tout ce que vous avez recueilli en
vous instruisant de votre cause en y réfléchissant, qui vous fait
conserver dans votre esprit toutes vos pensées rangées avec soin et
dans le meilleur ordre, écouter celui qui vous donne d'utiles
éclaircissements ou l'adversaire auquel vous aurez à répondre de
manière que leurs discours semblent moins entrer dans vos oreilles
que pénétrer et s'inscrire dans votre esprit. Voilà pourquoi ceux
là seuls dont la mémoire est vive et forte savent ce qu'ils auront
à dire et dans quel ordre et comment et ce qu ils ont déjà réfuté
et ce qui leur reste à combattre ; encore eux seuls ont l'avantage de
se souvenir et de ce qu'ils ont dit eux-mêmes dans de précédentes
causes et de ce qu'ils ont entendu dire à d'autres. Je ne disconviens
pas que c'est d'abord à la nature qu'on doit l'avantage d'une bonne
mémoire aussi bien que toutes les autres facultés dont j'ai parlé
jusqu'ici toutefois cet art de l'éloquence ou si l'on veut cette
apparence et cette image d'art n'a pas le pouvoir j'en conviens de
créer et de produire en nous un talent tout entier lorsque nous n'en
avons pas reçu de la nature la moindre partie mais peut au moins
développer les germes qui sont en nous et continuer ce que la nature
a commencé. Cependant il n'est presque personne doué d'une mémoire
assez forte pour retenir une suite un peu longue de mots et de
pensées à moins de s'aider par un arrangement de choses et de
signes presque personne non plus dont la mémoire soit assez ingrate
pour ne tirer aucun secours de cet exercice et de cette habitude. Car
Simonide ou tout autre qui a inventé la mémoire artificielle a fort
bien remarqué et bien vu que les idées qui nous viennent et qui
sont comme imprimées en nous par les sens sont celles qui se gravent
le mieux dans notre entendement et que de tous nos sens la vue est le
plus actif que par conséquent nous retiendrions mieux ce que nous
aurions entendu ou ce que nous aurions pensé si les yeux
concouraient à le faire entrer dans notre esprit que de cette
manière les objets même invisibles prenant une forme et une image
qui les représente nous retrouverions en regardant ces signes en
nous mêmes ce qui autrement échapperait à notre pensée. A ces
formes et à ces corps comme à toutes les choses visibles de ce
monde il faut des places on ne peut concevoir un corps sans une place
qu'il occupe. C'est pourquoi je dirai seulement, afin de ne pas être
trop long et de ne pas me rendre ennuyeux en parlant d'une chose
connue et vulgaire, qu'il faut se servir de places nombreuses,
remarquables, larges et à peu de distance les unes des autres, et
employer des images produisant de l'effet, saillantes, distinguées par
des caractères particuliers qui se présentent d'elles mêmes et
frappent promptement notre esprit. On se forme à ces procédés par
l'exercice qui en donne l'habitude pour retenir une idée on emploie
des mots analogues à l'idée même en les changeant et en leur
ajoutant des terminaisons différentes ou bien on passe du genre à
l'espèce ou par l'image d'un seul mot on se rappelle une pensée
entière on imite enfin un peintre habile qui embellit chaque partie
de ses tableaux par des figures variées.
LXXXVIII– La mémoire
des mots qui nous est moins nécessaire exige une plus grande variété
d'images il y a des mots qui, comme des articulations, servent à
joindre les membres du discours et qu'on ne peut figurer par aucune
forme qui leur ressemble ; il faut inventer pour ces mots des figures
particulières qu'on emploie constamment. La mémoire des choses est
celle qui convient à l'orateur nous pouvons la fixer par des
tableaux bien faits de manière que les images nous rappellent les
pensées et les lieux ou places leur ordre et leur rang.
Rien n'est moins vrai
que ce que disent les paresseux que le poids des images surcharge et
accable la mémoire et qu'il en résulte une obscurité qui fait
perdre ce qu'on aurait retenu tout naturellement. J'ai vu des hommes d'un grand mérite et d'une mémoire prodigieuse dans Athènes, Charmade
en Asie Métrodore de Scepsis qui disaient l'un et l'autre qu'ils
écrivaient avec des images dans les places qu'ils avaient choisies
tout ce dont ils voulaient se souvenir comme nous écrivons sur la
cire de nos tablettes. Ce moyen cet exercice ne tirera point une
mémoire du fond d'un esprit où la nature n'en a point mis du tout
mais pour peu qu'il y en ait une cachée, elle la fera sortir et agir
(...)
----
----
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire